La tentation Marine Le Pen ne séduit pas que les électeurs
Cela nous pendait au nez depuis un moment. Cela pendait, surtout à celui, de nez, des chefs de l'UMP et du PS : un sondage Harris-Interactive nous apprend que Marine Le Pen serait en tête du premier tour de l'élection présidentielle avec 23% si celle-ci avait lieu maintenant et qu'elle y était opposée à Marine Aubry et à Nicolas Sarkozy (21%).
Bien sûr, un sondage n'est pas une élection, Mai 2012 est encore loin et le leader du Front national est la seule à être entrée en campagne. Mille évènements - un rebond de la crise, la non-candidature de Sarkozy, voire, sait-on jamais, la mobilisation de la gauche autour d'un vrai programme, l'évolution du monde arabe, une crise en Chine, etc - peuvent changer la donne profondément.
Bien sûr, le choix des commanditaires du sondage de ne tester ni Ségolène Royal, ni François Hollande, ni surtout Dominique Strauss-Kahn jette un doute sur leurs intentions réelles : pourquoi éliminer ces trois candidats ? Pourquoi tester, en revanche, Dominique de Villepin qui ne s'est pas davantage avancé que DSK ?
SI l'on s'en tient à une analyse strictement politicienne, le résultat de ce sondage est utile à deux des candidats : Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn. Pourquoi ?
Concernant le Président l'interprétation est évidente : au moment où Nicolas Sarkozy incite ses partisans à éviter toute candidature de division - François Fillon samedi dans le Figaro, Xavier Bertrand et Dominique Paillé dans le Parisien - le sondage montre que la droite a intérêt à se rassembler derrière un candidat unique et à réserver la technique du râteau - plusieurs candidats pour ratisser plus de voix - pour d'autres occasions.
Or, soyons en certain, le Président n'est pas homme à organiser une primaire à droite. Il dispose encore de vrais atouts - le pouvoir et l'argent rien que ça - pour éliminer toute velléité de candidature dissidente à droite. A ce sujet, les gesticulations d'un Villepin ou d'un Borloo ne doivent pas illusionner : faisons confiance à Sarkozy pour trouver des moyens persuasifs pour les faire renoncer à leur petit tour de manège présidentiel, même si le chef de République solidaire dispose désormais, avec 7% d'intentions de vote, d'un levier sérieux pour obtenir du Président quelques concessions de taille.
Mais le sondage Harris-Le Parisien est tout aussi utile aux partisans de DSK. Chacun sait que, lui présent dans l'étude, elle aurait annoncé un deuxième tour DSK-Marine Le Pen, laquelle serait alors devant Sarkozy. Le sondage apparait donc comme un vibrant plaidoyer en faveur d'une gauche unie derrière le Président du FMI. Ou bien, à tout le moins pour une limitation des candidatures à gauche, à fortiori d'ailleurs si DSK n'y allait pas. Désormais, Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly, Olivier Besancenot seront stigmatisés avec l'étiquette infamante : « Attention, ce candidat peut amener un nouveau 21 avril! »
Marine Le Pen ? Un rêve de second tour à droite et peut-être à gauche
Voilà une très mauvaise nouvelle, pire encore peut-être que celle constituée par le score du FN. Car imaginons un instant que chacun, à droite ou à gauche devienne en effet « raisonnable ». Imaginons que Besancenot et Dupont-Aignan n'obtiennent pas leurs 500 signatures, qu'Eva Joly puis Jean-Luc Mélenchon renoncent pour prendre le risque de voir leur camp éliminé au premier tour. Une telle occurrence serait un formidable cadeau pour le Front National. Nous avons vécu « le tout sauf Le Pen » au second tour de mai 2007, et nous risquons maintenant d'avoir un « Tout sauf Le Pen » au premier tour de mai 2012. Ce magnifique progrès aboutirait à ce que les partis de droite et de gauche disposent ainsi d'un programme commun! Marine Le Pen serait alors très confortable pour, durant toute la campagne, dénoncer « l'UMPS et » démontrer encore plus facilement qu'elle seule incarne la rupture et le changement. Transformer le premier tour en quasi-triangulaire serait le meilleur moyen de lui faire la courte échelle.
Bref, la tragédie qui se profile - mais le pire n'est jamais sûr - offre peu de bonnes solutions pour la conjurer. Sauf à prendre à bras le corps le symptôme qu'incarne le Front National, dont Marcel Gauchet avait eu l'intuition dès la fin des années 1980 : le FN risque de devenir l'unique expression possible d'une version effrayante du retour de la lutte des classes à l'heure de la mondialisation neolibérale : dans les derniers sondages, Marine Le Pen séduit deux fois plus d'ouvriers que Sarkozy ou DSK ! Pour contrer le Front national, traiter les questions de l'identité nationale, de l'islam ou de l'immigration ne sont pas ou plus des solutions suffisantes n'en déplaise aux Buisson et Copé (qui vient de commander à un institut de sondage une consistante étude qualitative sur Marine Le Pen). Ces sujets, s'ils existent, ont une dimension qui reste périphérique pour les Français séduits par le vote Le Pen. Ce qui compte pour eux, c'est le chômage, les délocalisations, le pouvoir d'achat, les salaires et l'avenir de leurs enfants paupérisés. Toutes angoisses pour lesquelles, malheureusement, le discours n'est peut-être plus une arme suffisante.