Les deux corps de Hollande

Publié le par tutti 49

Les deux corps de François Hollande

Noémie Suissue - Tribune | Vendredi 8 Avril 2011 à 18:01 
 
 

 

Dans cette tribune, Noémie Suisse interprète la perte de poids de François Hollande à l'aune de la campagne des primaires socialistes comme une démonstration de persévérance qui lui redonne du poids en politique.



 
« Il faut que tu incarnes la France jusqu'à la moelle ». Le conseil est adressé à Nicolas Sarkozy, il est signé Franz Olivier Giesbert (Monsieur le Président - Scènes de la vie politique 2005-2011, Flammarion, avril 2011). Nos politiques, entend-on dans les médias, ont un an pour « se construire une stature », pour prétendre « incarner » la France : la politique se dit avec les mots du corps. Les institutions de la Vème République ont conduit à une personnalisation de la vie politique – entendons le mot de personnalisation au sens propre : la politique touche au collectif mais place la personne en son centre.

François Hollande marche sur les pas de Jacques Chirac en terre corrézienne mais au Salon de l'Agriculture en février dernier, il n'a pas eu la main leste sur la cochonnaille et les crus locaux. Et pour cause, « Monsieur petites blagues » ne plaisante pas avec sa ligne. Le politique bon vivant qui ne sacrifie pas au menu allégé du bobo parisien (trois paires de makis, une bouteille d'eau) mais honore « la France des terroirs » défendue par Christian Jacob en rendant hommage à ses fromages, cet homme-là ne ferait-il plus recette ? Les joues rebondies et la carrure large de M. Hollande n'étaient-ils pas le signe qu'il avait les « épaules » nécessaires, celles qui manquent à Cécile Duflot, de la bouche même de l'intéressée, pour se hisser au rang des présidentiables ? François Hollande a fui l'image d'Epinal du bourgeois replet, celui que Ingres a peint en la personne de Monsieur Bertin. Sur ce portrait de 1832, les doigts boudinés du modèle s'agrippent aux bras du fauteuil comme des griffes sur leur proie. Hollande se dit-il que la place est prise, que Dominique Strauss Kahn remplit à merveille le rôle du bourgeois gentilhomme pantouflard - ogre dévoreur des petites gens soumis au diktat du FMI, qui s'engraisse sur les peuples qu'il met au pain sec et à l'eau ?

Un bon mot circule dans les couloirs de presse  : plus Hollande mincit, plus il gagne de poids politique. Et Hollande entend bien peser dans cette course aux primaires. Peut-oser le constat, un brin trivial : si les primaires socialistes ne sont pas une « machine à perdre », elle auront été une machine à perdre des kilos. Vivement que DSK entre dans la bataille, doivent penser certains.

Ce n'est pas tant le résultat qui importe (pouvoir étaler l'image du cinquantenaire dans la fleur de l'âge sur les papiers glacés, plutôt que celle de l'ex-chef de parti à la panse bulbeuse, aux traits fanés), ce n'est pas tant le résultat qui importe, donc, que le processus. Car c'est à force de détermination et de volonté que l'homme est parvenu à ses fins, autant de qualités qui comptent pour l'échéance 2012, et, auparavant, pour s'imposer comme le candidat socialiste qui saura, le moment venu, distancer Nicolas Sarkozy dans le sprint final. Avant même sa candidature aux primaires socialistes officialisée à Tulle ce jeudi 31 mars, Hollande faisait de son régime le « signal d'une volonté ». Pendant que les strausskahniens sèment des petits cailloux, Hollande se déleste du poids d'un passé encombrant de premier secrétaire, d'un passif de rassembleur bonhomme, moins consensuel que falot.

Hollande s'était promis de mincir, il l'a fait. La promesse n'engage que celui qui y croit, en l'occurrence lui-même. Et ici, le Français n'a pas besoin de croire, il voit : il voit dans les traits amincis du visage du candidat et dans le tour de taille retrouvé que l'homme a littéralement donné de sa personne. Le corps de François Hollande est à sa volonté politique ce que la région Poitou-Charentes est à Ségolène Royal : une vitrine, un laboratoire. La conquête de Hollande est aussi progressive que maîtrisée : le corps, le département, le pays. Or son programme consiste, pour une part, à mettre la France au régime. Attention, tout de même, à ce que le visage émacié du Corrézien ne devienne pour les Français l'annonce de la disette forcée qui suivrait l'élection d'un coach non grata en lieu et place du président « normal » qu'il promet d'être.

Les Deux Corps du roi, un essai d'Ernst Kantorowicz (1957), a fait date. La thèse défendue par l'historien allemand est la suivante : le roi a deux corps, un corps, biologique, le corps périssable de la personne humaine et un autre corps, le corps dynastique, le corps immortel de la Nation. Hollande ne se contente pas de battre vaillamment la campagne et de monter, doucement, dans les sondages. Il affine pas à pas son image, dessine patiemment les contours d'un corps double, celui du souverain.

Comme à chaque printemps, les magazines féminins vantent des régimes souvent commencés, toujours abandonnés. François Hollande a pour objectif le printemps 2012, et parce qu'il croit en sa capacité de faire corps avec le peuple, il ira jusqu'au bout. 
 



Publié dans PS

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