François Aubry ou Martine Hollande, il faudra bien choisir !

Publié le par tutti 49

Gérald Andrieu et Philippe Cohen - Marianne | Mercredi 12 Octobre 2011 à 23:03


Deux heures de débat d'une grande courtoisie - économie, social, mondialisation, Europe, institutions - n'ont pas vraiment permis de situer ce qui, au niveau des options et de la stratégie, permet de distinguer nettement les deux compétiteurs.

 

La partie commence par un concours de fair-play. Un peu comme dans un combat de judo, les deux adversaires ont multiplié les marques de courtoisie et de respect et se sont jurés d'utiliser chacun au mieux les qualités de l'autre en cas d'installation à l'Elysée. Cet exercice confortable a été grandement facilité par une question un peu benêt de David Pujadas qui a incité les deux débatteurs à démontrer qu'ils avaient des relations amicales.

Le quart d'heure des bisounours étant terminé, il a fallu monter sur le tatami. Le premier round d'observation a porté sur la récente polémique opposant la « gauche forte » d'Aubry à la « gauche molle » d'Hollande, qui a sans doute coûté cher à ce dernier lors du dernier débat télévisé avant le 1er tour des primaires. Du coup, le député de Corrèze a mis les points sur les « i », arguant que la France avait besoin d'apaisement après cinq ans de présidence brutale : « Il faut une gauche solide et sincère.»
Feu (enfin) sur le quartier général bancaire !
Il a fallu ensuite déplacer la confrontation sur les contenus. C'est à ce moment que le combat est devenu périlleux. Car plus les deux concurrents précisaient leurs intentions sur le plan économique, plus le téléspectateur peinait à distinguer ce qui les différenciait vraiment en dehors de la tenue vestimentaire, gris anthracite pour Madame, Monsieur jouant très classiquement dans les tons bleus, un uniforme devenu presque obligatoire en politique masculine.

Comme pour mieux se distinguer de leurs concurrents malheureux Ségolène Royal et Arnaud Montebourg, Martine Aubry et François Hollande sont d'abord tombés d'accord pour s'engager sur un retour à 3% de déficit en 2013 (contre 4,5% en 2012). Le clivage, si l'on peut dire, s'est focalisé sur la suite : tandis que Françopis Hollande veut parvenir au déficit 0 en 2017, Martine Aubry pense que ce n'est pas raisonnable dans un contexte international trop incertain. Elle parle aussi, davantage que lui, de l'utilité de la croissance pour rééquilibrer les comptes : pour 2013 par exemple, Aubry évalue à 30 milliards les sommes nécessaires pour parvenir à 3% de déficit. Soit 20 milliards pour les niches fiscales et 10 par la croissance. Son concurrent reste plus flou, insistant davantage sur la pédagogie de la lutte contre l'endettement : « Je préfère payer des professeurs plutôt que payer des intérêts de la dette ». Jean-Claude Trichet devait boire du petit lait.

La séquence suivante a vu Martine Aubry, ex-ministre du Travail et très bonne « techno » des questions sociales, tacler assez durement son concurrent à propos de son projet de « contrats de génération ». Après avoir rappelé l'opposition de tous les syndicats à ce dispositif, elle a affirme que les système d'exonérations de charges ont fait leur temps car ils avaient prouvé leur inefficacité. François Hollande a dû faire le gros dos. Mais la technicité du dialogue ne permet pas de penser qu'il a perdu beaucoup de voix dans cet échange.
Puis le ronron consensuel a repris. Sur la fiscalité, Aubry comme Hollande entendent taxer davantage les riches. Elle semble le faire averc le sourire. Il affirme à l'avance en être désolé, mais ça revient au même pour le portefeuille des classes moyennes aisées.

Le sujet des banques a permis aux deux candidats de gauchir radicalement leur discours. Faire cracher les banques, thème prioritaire de la campagne de Montebourg et de Royal, est devenu leur dada commun. D'autant plus que les deux « impétrants » savent bien qu'une nouvelle crise bancaire précédera leur éventuel retour au pouvoir et que pour l'essentiel, le renflouement des banques aura eu lieu auparavant...

Des caméléons sur les questions sociales...
Aubry et Hollande sont les « deux faces d'une même pièce », raillait Arnaud Montebourg. A l'heure des questions sociales, la chose a été plus flagrante encore. Sur la retraite à 60 ans, ils chevauchent la même ligne. Hollande oublie d'évoquer la prise en compte de la « pénibilité » ? Aubry en parle ! Hollande relève le gant et ajoute un peu de « souffrance au travail » pas encore évoquée par sa camarade-adversaire. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux ? Tous deux l'annulent et appellent, ô surprise, à un nouvel acte de décentralisation. Le service minimum ? Pas touche ! Ni pour l'un ni pour l'autre. Et dans un grand effort d'originalité, voilà les deux débatteurs évoquant la nécessaire « concertation avec les partenaires sociaux ».

Les judokas Hollande et Aubry ont été formés au sein de la même école, le dojo Jacques Delors. Difficile ainsi de surprendre l'autre. Martine Aubry croit déceler une ouverture dans la proposition de François Hollande d'engager 60 000 nouveaux enseignants et de financer leur embauche par une mesure conjointe, la suppression des redoublements ? Elle fonce, mais un peu trop précipitamment, bafouille et se prend les pieds dans le tatami sans que personne n'y comprenne rien.

Quand vient enfin la question délicate de l'interdiction des licenciements à laquelle Royal a visiblement conditionné son ralliement à son ancien compagnon, là, c'est François Hollande qui trébuche. Mais tout seul. Interdire purement et simplement les licenciements ? Ce sera sans lui ! Il propose, comme d'habitude, un peu de pénalisation financière par là, une procédure en référé par ici, mais pas d'interdiction formelle. Tout comme... Martine Aubry d'ailleurs qui déroule les mêmes propositions que depuis le début de la campagne : saisine de la justice, etc.

Du protectionnisme au juste-échange, il n'y aurait qu'un pas ?
Après le tatami, tapis rouge pour Montebourg ! Martine Aubry a tenu à montrer aux électeurs du député de Saône-et-Loire qu'il n'y avait peut-être qu'une différence de sémantique entre elle et lui. Ainsi appelle-t-il, « protectionnisme » ce qu'elle appelle « juste échange » et qu'elle tenté de définir comme un continuum menant du libre-échange à l'exigence de réciprocité, précédant de peu la sanction commerciale (c'est à dire la taxe à l'importation). Aubry s'est même targuée d'en avoir fait adopter le principe par les autres partis socialistes de l'Union européenne. La démondidalisation ? Au fond, ce cher Arnaud veut simplement humaniser la mondialisation. Comme elle en somme...

François Hollande a paru décontenancé un court instant, mais il s'est vite rattrapé aux branches. Lui aussi est pour sanctionner la Chine si elle maintient sa monnaie aussi faible et si elle ne respecte pas un certain nombre de règles sociales et environnementales. De toute façon, les deux enfants du delorisme sont tombés d'accord (mais pas dans les bras) sur l'Europe, proposant la — déjà vieille — solution consistant à distinguer un premier cercle fédéral d'une confédération des états-nations. Sans préciser ce que deviendrait, dans cette optique, l'eurogroupe, coincé entre la conffédération à 27 (bientôt 28 avec la Turquie ?) et la fédération à moins d'une dizaine (l'Allemagne, la France et quelques autres).

Plus rassembleur que moi, tu meurs !
Les kimonos étaient à peine froissés quand les deux prétendants ont dû s'imaginer (histoire, peut-être, de sortir les téléspectateurs de leur torpeur ?) dans le costume du Président de la République. Puisque sur le fond, difficile de les distinguer, c'était le moment ou jamais pour les deux candidats de marquer des points. Hélas : les monologues étaient déjà connus. Martine Aubry a fait valloir son « expérience » comme ministre, à la tête d'une métropole et d'un grand groupe industriel. Et sa capacité à rassembler le PS, la gauche et les écologistes. Tout aussi classiquement, François Hollande a dégainé sa très ancienne envie d'accéder au trône, sa capacité à rassembler illustrée par les frais ralliements de Baylet, Valls et Royal et son expérience aussi à la tête du Parti socialiste glissant au passage une pique qu'il ne s'était jamais permis : « Ce n'est pas moi qui suis le protagoniste d'un congrès qui s'est terminé comme on le sait ».... En huit heure de débat depuis le début de la primaire, c'est bien la première banderille décochée par le toréro de Corrèze.

Finalement, deux heures de débat n'ont pas réussi à faire sentir une différence de stratégie et d'option des deux candidats. Mais vingt heures supplémentaires n'y auraient peut-être pas suffi ? Ils seront donc départagés par d'autres critères que ceux du contenu et du programme. Martine Aubry peut espérer disposer d'un vote important des femmes, comme l'a laissé comprendre la fin de son intervention, très féministe. Elle a aussi tenté de préempter le vote des jeunes, peut-être par crainte de voir son concurrent rafler la mise avec son « contrat de génération ». Quant à François Hollande, son habileté et sa bonhomie peuvent donner l'impression à nombre d'électeurs, comme Ségolène Royal, son ex-femme, qu'il a plus de chances de battre Sarkozy que « la dame des 35 heures », pour rappeler le titre si tendre de l'ouvrage de Philippe Alexandre. Mais il faudra peut-être attendre un certain temps pour savoir si l'impression d'un Hollande plus efficace est, au cas où celle-ci lui permettrait de triompher d'Aubry dans la primaire, juste ou non.

Publié dans Primaires

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